Les dessous de l’emprise psychologique

Quelle est la définition de l’emprise psychologique ? Cette expression qui revient sans cesse en moi ces derniers temps, dans les discussions, dans mes travaux de recherche en lien avec la résilience suite à des agressions et des traumas. Car oui, le chemin de la résilience peut nécessiter la sortie d’emprises relationnelles. Voici des réflexions pour revenir à la définition de l’emprise psychologique, à ses effets, à ses processus. Et aux pistes pour en sortir.

Selon la définition, l’emprise est une ascendance intellectuelle ou morale exercée par quelqu’un ou quelque chose sur un individu. La définition psychanalytique est plus précise. Selon le Larousse, c’est une « relation de domination, de manipulation et de maltraitance, utilisant la violence psychologique (dévalorisation, isolement de l’entourage, contrôle, menaces, etc.), voire la violence physique ou l’abus sexuel, en alternance avec des marques d’affection, ce qui a pour effet de vulnérabiliser une personne (conjoint, par exemple) et de la maintenir dans un état de dépendance psychologique et/ou matérielle. » L’auteur de l’emprise psychologique s’empare par définition de l’autre. Il saisit sa prise avec ses griffes.

Issu du latin populaire Imprendere (saisir), l’emprise crée un phénomène d’emprisonnement. Emprise et emprisonnement : ô combien ces deux mots sont proches. Une prison psychique où la personne n’ose plus penser par elle-même. Une prison physique et comportementale où elle n’ose plus s’opposer, sortir de ses murs, parler aux autres ni demander de l’aide, dénoncer les faits ni s’échapper. Elle n’ose plus mener sa propre vie en utilisant sa liberté. Elle en a perdu les capacités, au moins temporairement, et ce même en l’absence de contrainte physique. La contrainte psychique et la peur tiennent lieu de barreaux.

Oui, l’emprise est synonyme de séquestration psychique. Un véritable kidnapping avec une usurpation d’identité. Notre identité nous est volée. Car l’emprise est une action de prendre, de saisir l’autre. Un vrai vol.

L’emprise est l’anagramme de méprise

Il est une chose très étrange dont j’ai pris conscience voici peu : le mot emprise est l’anagramme parfait du terme méprise, dès lors que l’on oublie l’accent sur le É. Rapprocher ces deux mots, examiner le lien qui relie ces deux phénomènes. L’emprise se nourrit de la méprise. Méprises au pluriel.

La personne victime d’emprise se méprend sur les autres et notamment son agresseur et ses complices. Elle multiplie les confusions, les malentendus, les quiproquos sur les personnes de son entourage, sur les règles sociales, sur les règles légales. Pour dire plus clairement les choses : la personne sous emprise psychologique fait erreur. Elle se trompe et prend une chose pour une autre. Elle voit faux. Elle voit flou.

Ce n’est donc pas une méprise, mais trois méprises dont nous sommes l’auteur lorsque nous sommes sous emprise. La première nous concerne personnellement. Nous nous méprenons sur ce que nous sommes, sur notre valeur. Nous valons beaucoup plus que le croyons. Oui, nous avons une grande valeur, une valeur unique, universelle et inconditionnelle qui ne dépend ni des autres ni de leur jugement. La méprise est de croire que notre valeur dépend de l’évaluation de celui ou de celle qui nous manipule, qui a jeté son dévolu sur nous. Nous pouvons nous aimer comme nous sommes, sans ce besoin d’assentiment de notre bourreau.

Nous nous méprenons également sur notre force. La force que nous avons est bien plus puissante que nous le croyons. Nous avons eu la force de traverser ce que nous avons vécu jusqu’ici et vivons aujourd’hui. Si nous avons cette force en nous, nous avons la force nécessaire pour nous extirper de la relation d’emprise dans laquelle nous sommes. Pour en sortir.

La seconde méprise concerne l’autre, la personne qui nous a pris dans ses griffes, qui nous manipule consciemment ou inconsciemment. Non, cette personne ne nous veut pas du bien. Elle nous considère comme un objet. Elle nous manipule pour être sa chose, pour nous transformer en être qui se conforme à ses souhaits, ses désirs, ses lubies, sa névrose.

L’auteur de l’emprise est bien souvent dans une névrose. Sa névrose. Celle-ci lui appartient. C’est son histoire. Elle ne nous appartient pas. Nous n’en sommes pas responsables. Une névrose qui est parfois une pathologie, qu’elle soit diagnostiquée ou non. Et nous n’avons pas à en faire les frais. Nous avons le droit, le devoir même, de ne pas être son complice.

La troisième méprise a trait aux tierces personnes et, plus largement, à la société. Sous emprise, nous ne voyons pas que les autres nous aiment comme nous sommes, ne nous considèrent pas comme un objet. Aujourd’hui, nous pouvons regarder en face cet amour pour nous, cette bienveillance, saisir cette main tendue. Nous nous méprenons aussi sur les règles sociales et les lois : celles-ci nous protègent et prennent notre défense bien plus que nous le croyons. Utilisons-les.

Sortir des griffes du prédateur

Sortir d’une emprise nécessite de revenir à la réalité des choses au présent. Et de définir ces différentes méprises qui nous ont envahi, en ouvrant le champ de vision pour ne plus se fixer sur le seul agresseur et ses complices qui nous kidnappent. En recourant à des alliés et à des personnes ressources qui sont en dehors du champ de ces relations toxiques que nous subissons, parfois à répétition.

Par définition, l’auteur de l’emprise psychologique profite des failles de sa proie, de ses peurs, de son manque d’estime de soi et d’affirmation de soi. Il œuvre avec manipulation. Ses armes sont notamment la dévalorisation et la survalorisation ainsi que l’isolement. Sans oublier possiblement le chantage, la menace, le mensonge, etc.

Il est un prédateur, un homme ou une femme qui se nourrit des autres. Sortir de la relation d’emprise signifie sortir de ses griffes, de son cercle. L’une des clés pour ouvrir la porte est de (re)nouer des liens sociaux nouveaux, solliciter des aides amicales, familiales, juridiques, professionnelles de la relation d’aide (psys, coachs…), associatives… Dehors : un autre monde tend la main.

Sortir d’une relation d’emprise, c’est opérer une déprise, un débranchement de la prise. Cela signifie se délier de l’autre et surtout de se défaire de nos propres pensées et comportements qui nous enferment dans cette relation toxique aliénante. Une chose est sûre : cela nécessite de faire un pas de côté pour emprunter un autre chemin, celui du juste milieu. Un chemin qui permet de développer une estime de soi indépendante de son bourreau, de ne plus être sous soumis à son regard et à l’évaluation qu’il fait de nous.

La face cachée de l’emprise

Il existe l’emprise bien connue, celle dont la définition est évoquée ci-dessus. Ce lien jeté par cette personne qui est le bourreau, l’agresseur, le kidnappeur. Homme ou femme, personne de notre famille, compagnon ou compagne, ami ou amie, relation de travail, professeur… Ce lien qui nous retient à lui ou à elle est comme un grappin. Nous restons accrochés comme la bernique à son rocher. Qui fait que nous sommes sa chose.

Et pourtant, il existe une face cachée de l’emprise. Car l’emprise est le plus souvent double. Oui, tels les trains, une emprise peut en cacher une autre. Cette seconde emprise est l’emprise croisée, en sens inverse. Ce n’est plus notre bourreau qui nous tient, mais nous qui le tenons ou voulons le tenir à tout prix, consciemment ou inconsciemment. Nous voulons avoir une emprise sur lui. Nous voulons retenir notre bourreau pour qu’il soit qualifié d’agresseur, pour qu’il paye son dû, pour qu’il reconnaisse la vérité, notre vérité. Ou encore pour qu’il nous aime et nous reconnaisse, pour qu’il ait besoin de nous, pour que ce soit nous le maître et non plus lui.

Garder un lien affectif ou du ressentiment contre celle ou celui qui a eu une emprise sur nous a un impact contre-productif. Nous entretenons activement la relation d’aliénation avec cet agresseur. Nous maintenons ces menottes qui nous empêchent de nous libérer, qui nous empêchent de vivre pleinement notre vie. Incroyable idée ! Inversion des rôles. Ce n’est plus lui ou elle qui crée ou entretient l’emprise. C’est nous ! Abandonner le ressentiment et le besoin de reconnaissance devient ainsi une voie pour atteindre la liberté.

Autrement dit, sortir d’une emprise psychologique exige de dissoudre un certain narcissisme. Car, être l’objet de l’autre, être son centre d’intérêt est très narcissisant. Avec l’emprise, nous sommes parfois dans une position de dépendance affective que nous entretenons. Il s’agit donc parfois de se défaire de l’affection que nous avons pour celui ou celle qui a jeté son emprise sur nous.

Franchir la porte pour sortir de l’emprise. Ne plus subir cette injustice, ces relations toxiques, ce rapport à soi-néfaste. Oui, oser franchir la porte. Il faut du courage. Mais dehors, le monde est beau, chaud, avec du soleil. Certes, des orages et des tempêtes existent. Mais c’est un monde plus doux, avec des personnes aimantes et soutenantes qui n’évoluent pas dans la domination, la manipulation et la maltraitance. Oui, dehors, un autre monde tend la main.

Sylvain Seyrig, coach professionnel à Paris

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