… et de pédophilie. Mais parlons plutôt de pédocriminels et de pédocriminalité. En effet, le terme « pédophile » souligne un supposé amour et masque le réel des violences sexuelles subies par les enfants. Voici comment m’est venu ce changement de vocabulaire…

Nous sommes le mardi 5 février dernier. Je suis chez ma psychanalyste, dans le 12e arrondissement de Paris, à deux pas de la Place de la Nation. Il est un peu plus de 18 heures et la nuit est déjà tombée. Là, je me sens en sécurité, en capacité de prononcer des mots jamais vraiment dits jusqu’ici. Je lui raconte ce jour du printemps 1974 où, âgé d’à peine plus de huit ans, j’ai été agressé par un pédophile. Je choisis avec soin chaque mot.
Je confie en détail ce qui s’est déroulé ce jour-là dans le quartier de Montparnasse, à Paris. Ce jour où ma vie a basculé, laissant une plaie douloureuse, certes apaisée aujourd’hui, mais une plaie profonde qui a handicapé toute ma vie, ma vie d’enfant puis ma vie d’adulte.

Ma psychanalyste est dans son fauteuil. Elle m’écoute avec empathie et bienveillance. Je lui raconte cette poignée de minutes qui auront suffi à cet inconnu, vêtu d’un imperméable de couleur claire, pour enrayer ma vie. Je raconte la tromperie, le mensonge qu’il a employé pour m’embarquer quelque part, à l’abri des regards. Puis ses gestes sur mon corps. Le corps d’un enfant de huit ans qui, en quelques secondes, se charge d’une honte indélébile que je ressens encore aujourd’hui, brisant naïveté et estime de soi.

« Si tu parles, je te tue »

Je raconte enfin les mots que ce pédophile lance au moment de me relâcher : « Si tu dis ce qui s’est passé, je te retrouve et je te ferais du mal. » Pour moi, Sylvain, petit bonhomme de huit ans, le message de cet homme nettement plus grand que moi devient une menace claire et définitive : « Si tu parles, je te plante un couteau dans le dos. Je te tue. »

Motus et bouche cousue, j’ai suivi la consigne imposée. J’ai tu cette agression du pédophile qui n’aura jamais connu mon prénom. Je l’ai cachée à mes parents, à tous… Repoussée au plus profond de ma mémoire jusqu’à l’oublier jusqu’à l’âge de 27 ans. Occultée dix-neuf ans durant.

Le pédophile qui enfreint la loi est un pédocriminel

Mais revenons à ce mardi 5 février 2020. Ma psychanalyste m’écoute avec attention et empathie. Ce n’est pas la première fois que j’aborde avec elle les agissements du « pédophile ». Mais, ce jour, une fois mon récit terminé, elle apporte une correction notoire :

– Je ne suis pas sûr que le terme « pédophile » soit adapté. Nous devrions plutôt parler de « pédocriminel » et de « pédocriminalité ». Ce serait plus juste, précise-t-elle.

Elle rappelle que le mot « pédophile » contient le suffixe issu du grec ancien « phile », qui signifie « ami, personne qui aime ». Je ressens très juste et infiniment salutaire sa remarque sémantique.

De fait, le bibliophile aime les livres. Il les lit, les comprend. Il en prend grand soin. Il sait ne pas les abîmer. Le cinéphile aime les films et le cinéma. Il les regarde sans les toucher. Il ne les détruit pas. Il ne brûle pas la pellicule comme le pédophile brûle l’enfance.

Et le pédophile ? Il n’aime pas les enfants. Il a des attirances sexuelles, des pulsions. Nuance importante. Il devient pédocriminel dès lors qu’il enfreint la loi par ses actes, entraîné par ses déviances, ses pulsions, son désordre intérieur, son manque de repère social. Il abîme l’enfant, plus ou moins petit ou grand en taille et en âge. Il brûle l’enfance comme on arrache les ailes d’un papillon.

Le mot « pédophile » masque le réel des violences sexuelles

La sémantique n’est pas neutre. Le terme « pédophile » souligne un supposé amour. Le terme « pédocriminel » souligne le crime que représente une agression sexuelle ou l’accès à un contenu pédosexuel (par exemple, le visionnage d’un film pédosexuel). « Le mot pédophilie masque le réel des violences sexuelles. À l’évidence, les viols et agressions sexuelles ne relèvent pas de l’amour mais de son contraire, la violence », insiste dans le Parisien Édouard Durand, juge des enfants du tribunal de grande instance de Bobigny (source France Culture). 

Depuis l’affaire Gabriel Matzneff, en ce début d’année, plusieurs articles sur ce souhaitable changement de vocabulaire ont été publiés, notamment sur les sites internet de France Info, France Culture, du Monde, du Parisien… Ce changement lexical a été initié voici quelques années par les autorités et les associations de protection de l’enfance et de lutte contre les atteintes sexuelles.

Interpol a d’ailleurs sa cellule « Pédocriminalité». Elément rassurant, elle remonte en première position des résultats de recherche quand on saisit le mot dans Google. Son action est triple :

  • Identifier et secourir les jeunes victimes d’abus sexuels
  • Interdire l’accès au contenu (films…) à caractère pédosexuel
  • Empêcher les délinquants sexuels de se rendre à l’étranger pour abuser d’enfants ou échapper à la justice.

La cellule Interpol publie même une page sur la terminologie adéquate à utiliser, dont voici un extrait :

Termes à utiliser avec prudence ou à éviter Termes recommandés
Pornographie mettant en scène des enfants Abus sexuels d’enfants
Tourisme sexuel impliquant des enfants Exploitation sexuelle des enfants dans le cadre des voyages et du tourisme
Touriste sexuel Auteurs itinérants d’infractions sexuelles à l’encontre des enfants
Prostitution enfantine Exploitation des enfants à des fins de prostitution
Enfant prostitué, enfant travailleur du sexe Victime d’exploitation sexuelle
Client Délinquant/agresseur pédosexuel
Tourisme sexuel impliquant des enfants par webcam Abus sexuels d’enfants en ligne

Source : Interpol

Pour terminer, je dédie cet article :
• Au Dr Catherine Bonnet
qui s’est battu et se bat encore inlassablement contre la pédocriminalité
• A ma grande amie Florence Batisse-Pichet, qui m’a incité à l’écrire.

Sylvain Seyrig, coach professionnel à Paris

• Ce sujet vous intéresse ? Regardez la vidéo 1 h 21 pour comprendre la pédophilie de A à Z